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23 Juillet 2024
"Dans une petite boutique népalaise, Fukamachi tombe sur un appareil photo qui pourrait bien être celui de George Mallory, le célèbre alpiniste qui fut le premier à essayer de vaincre l’Everest. Mallory disparut avec Andrew Irvine lors de cette ascension en 1924, sans que l’on puisse savoir s’ils sont parvenus au sommet. Et si c’était seulement lors du chemin du retour qu’ils avaient eu cet accident fatal ? Cela changerait l’histoire de l’alpinisme !
C’est sur cette passionnante question que s’ouvre le chemin initiatique de Fukamachi qui sera amené à faire la rencontre de figures hautes en couleurs. Le dépassement de soi, l’aventure, la passion de la montagne sont les leitmotivs de cette formidable aventure signée Jirô Taniguchi !"
Kana – 326 pages
Quand on commence à s'intéresser aux mangas comme ce fut mon cas il y a quelques années, le nom de Jirô Taniguchi revient assez rapidement dans la conversation. Auteur du cultissime Quartier Lointain (que je me rappelle avoir piqué à mon père dans mon enfance, mais dont les souvenirs sont particulièrement flous), celui qui nous a quittés en 2017 restera l'auteur d'une œuvre prolifique.
Je ne connais pas du tout le roman japonais dont est tiré Le sommet des Dieux, j'ignore même s'il a été traduit en français. Toujours est-il que Taniguchi s'en est emparé dans le courant des années 2000, afin d'en produire une adaptation graphique contemplative et poétique, dont lui seul a le secret.
Dans ce premier tome (sur six, me semble-t-il), l'auteur nous introduit au personnage principal de Fukamachi, un photographe qui était chargé de prendre des clichés d'une équipe d'alpinistes en pleine ascension au Tibet. Or, une tragédie a brutalement coupé court à ce projet. Aussi, décide-t-il de rester quelques jours dans le pays et dans un magasin de seconde main, trouve-t-il un très vieil appareil photo Kodak. Il n'en croit pas ses yeux. Se pourrait-il qu'il s'agisse d'un modèle des années 20 ? Et si oui, aurait-il pu appartenir à une expédition de légende tragiquement disparue dans les montagnes alentours ?
Son enquête va le mener sur la piste d'un alpiniste japonais plus contemporain, un certain Jôji Habu, à la vision si radicale de la discipline qu'il s'est peu à peu coupé du monde.
Ici, la manière dont l'enquête de Fukamachi est relatée est quasiment journalistique. Ainsi existe-t-il dans certaines cases une sorte de point de vue extérieur qui perturbe quelque peu la lecture ainsi que l'immersion dans cette histoire déjà pas toujours évidente à aborder. C'est un détail, mais je n'ai pas aimé ce choix de l'auteur, qui a retardé ma bonne compréhension d'un scénario pourtant passionnant. Voilà pour le point négatif.
L'alpinisme est une discipline qui m'est totalement étrangère, mais accordons-nous pour reconnaître qu'elle a quelque chose de fascinant. Que cherchent ces hommes ? Dompter la nature ? Se confronter à elle ? À eux ? C'est toute la question soulevée ici, au travers de portraits de protagonistes pas faciles à cerner. Ils mettent à chaque ascension leur vie en danger, repoussant toujours plus loin les limites de leur corps et de ce que ce dernier peut supporter.
Si la première moitié s'avère uniquement introductive – il y a en effet pas mal d'éléments, à différentes époques, à mettre en place – la seconde, elle, nous plonge au cœur des montagnes et des sommets les plus abrupts de notre Terre. Le dessin est magnifique, le détail très présent, que cela soit sur l'équipement par exemple ou sur la manière de transcrire ces paysages immaculés et accidentés, et les dialogues, parfois minimaux, sonnent toujours justes. Ce que j'aime particulièrement chez cet auteur, et qui ne plaîra pas à tous, c'est qu'il prend son temps, s'autorise la contemplation, l'ennui, la difficulté, pour mieux nous initier à la notion de dépassement de soi. Cela donne un récit que l'on ne peut pas toujours légitimement saisir quand on n'a pas cette passion chevillée au corps, mais qui parvient avec efficacité à nous plonger dans la tête et le point de vue de ces alpinistes que rien ne semble arrêter.
Pour conclure, je dirai que si le démarrage peut sembler poussif, il ne faut pas pour autant hésiter à s'accrocher pour atteindre la seconde partie, qui déploie tout le talent de l'auteur en matière de psychologie des personnages. J'ignore s'il s'agit de l'œuvre idéale, en revanche, pour découvrir l'auteur. Je n'en suis pas certaine !
En bref… Une belle découverte, dépaysante à souhait, d'un univers que nous méconnaissons pour la plupart d'entre nous totalement.