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Un palais de papier

Blog lecture, avis & chroniques

La chair est triste hélas d'Ovidie

« J’ai repensé à ces innombrables rapports auxquels je m’étais forcée par politesse, pour ne pas froisser les egos fragiles. À toutes les fois où mon plaisir était optionnel, où je n’avais pas joui. À tous ces coïts où j’avais eu mal avant, pendant, après. Aux préparatifs douloureux à coups d’épilateur, aux pénétrations à rallonge, aux positions inconfortables, aux cystites du lendemain. À tous ces sacrifices pour rester cotée à l’argus sur le grand marché de la baisabilité. À toute cette mascarade destinée à attirer le chaland ou à maintenir le désir après des années de vie commune. Cette servitude volontaire à laquelle se soumettent les femmes hétérosexuelles, pour si peu de plaisir en retour, sans doute par peur d’être abandonnées, une fois fripées comme ces vieilles filles qu’on regarde avec pitié. Un jour, j’ai arrêté le sexe avec les hommes. »

Julliard, coll. Fauteuse de trouble - 160 pages

[Service presse via NetGalley]

Vous voyez, ce genre de livres dont on a envie de surligner une phrase sur deux ? Qui semble trouver les mots justes pour nous parler intimement ? C'est rare, vous en conviendrez. Et c'est exactement ce qu'est parvenue à me faire ressentir Ovidie avec ce court essai. 

Écrit dans un esprit de spontanéité, La chair est triste hélas prend comme point de départ la décision de l'autrice de faire ce qu'elle nomme une "grève du sexe". Soit un refus de s'adonner à des pratiques sexuelles avec un homme qui ne lui apporterait aucun plaisir. Des années de mauvais traitements, de violences insidieuses ou non, de sentiment de "le faire" parce qu'il le faut… Tout explose entre ces lignes, comme dans un cri du cœur, un ras-le-bol sur lequel on met enfin publiquement des mots depuis ce fameux mois d'octobre 2017, celui de #MeToo. Un vécu commun à des millions, si ce n'est des milliards de femmes qui met parfaitement en avant la prise de conscience collective qui a résulté de ce mouvement et qui chemine encore malheureusement trop doucement, là où certains défendent encore la "liberté d'importuner"...

À la lecture, on sent en Ovidie l'universitaire, la pédagogue qui a sans cesse ce souci de transmettre tout à fait correctement sa pensée et ses idées, dans une ligne politique et militante nette. Ce titre, très bref, parvient en partant d'un fait intime à développer un propos bien plus large sur la politisation de l'intime, son importance cruciale qu'il est de nos jours impossible de nier. Ainsi le sujet de la sexualité s'étire-t-il jusqu'à celui de la société de consommation au sens large (pour mon plus grand bonheur d'ailleurs puisque c'est un peu une de mes marottes avec les essais portant sur les transfuges de classes). Un propos ultra-pertinent, qui a trouvé en tout cas en moi un écho énorme. On ne fait certes ici qu'effleurer l'ampleur d'un tel sujet ; pour autant, Ovidie nous passionne et ne nous donne qu'une envie : s'informer davantage, lire d'autres essais pour soi-même parvenir, telle qu'elle le fait, à politiser sa vie. L'objectif de ce titre, si je ne m'abuse, est donc pleinement rempli !

Si vous voulez en savoir davantage sur Ovidie ainsi que sa démarche actuelle, je vous conseille vivement — que vous ayez ou non lu ce titre — d'écouter le toujours passionnant podcast LSD [La Série Documentaire] consacré : (Sur)vivre sans sexe : Vivre sans sexualité (en quatre épisodes), sur votre agrégateur de contenu audio. 

Je préfère retourner à ma solitude, ce cocon dans lequel je suis préservée de la violence.

En bref… Un titre à découvrir, incontestablement ! Ma découverte de cette collection commence très fort.

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